Millenium
boulevard des promesses











BOULEVARD DES PROMESSES

Boulevard des Promesses, ainsi nommée non par quelques élus en mal de poésie, mais par le murmure des générations qui l'avaient arpenté, déroulait son ruban pavé sous un ciel toujours changeant, à l'image des serments qui s'y échangeaient. C'était un axe droit, où chaque façade semblait retenir son souffle, comme si les pierres elles-mêmes se souvenaient des secrets chuchotés à l'abri des volets clos. D'un côté, l'échoppe de Madame Dubéret, modiste aux doigts de fée, dont chaque chapeau portait la promesse d'une élégance retrouvée, d'un regard attiré. Elle souriait à ses clientes avec cette douceur pleine d'espoir, comme si un simple ruban de soie pouvait effacer les renoncements d'une vie conjugale sans éclat.
-- Avec ceci, Madame Lachauve, votre mari ne regardera plus que vous.
Mais Madame Lachauve, en enfilant le chapeau devant la petite glace ovale, ne voyait déjà plus qu'un fantôme de désir, une promesse déjà fanée. Un peu plus loin, l'odeur sucrée des brioches de l'atelier de Monsieur Lepainsec flottait dans l'air, promesse fidèle du réconfort du matin. Mais ce que l'on ignorait en mordant dans la croûte dorée, c'était le goût amer de ses propres illusions. Car Lepainsec, tout en pétrissant sa pâte, ressassait la lettre jamais envoyée, celle où il aurait avoué à Thérèse, partie depuis dix ans à Marseille, que le four de son cœur ne s'était jamais éteint.
Au numéro 14, la porte bleue à demi écaillée dissimulait l'appartement de Léonard, écrivain en devenir depuis trente ans, dont chaque manuscrit débutait par une promesse flamboyante pour s'échouer sur l'écueil des doutes. Sa table était jonchée de pages où l'encre s'était mêlée aux taches de café froid, comme si chaque goutte renversée ajoutait une amertume supplémentaire à ses récits jamais achevés. " Demain, je m'y remets ", se promettait-il chaque soir, avec cette naïveté obstinée qui était la seule chose encore vivante en lui. Mais le boulevard des Promesses n'était pas qu'un cimetière d'espérances déçues. Il y avait aussi les serments tenus, aussi discrets qu'un trait de lumière sous une porte fermée. Chaque matin, le vieux Julien descendait le boulevard pour porter du lait à Madame Lefebvre, alitée depuis l'hiver dernier. Il ne lui avait jamais dit, mais depuis la mort de son mari, il avait fait le vœu de veiller sur elle. Ce n'était pas grand-chose, quelques bouteilles de verre déposées sur le paillasson, mais c'était là une promesse tenue, tissée dans la trame grise du quotidien. Et puis il y avait les promesses à soi-même, celles que personne n'entend mais qui, parfois, sauvent une vie. Comme cette jeune fille aux cheveux roux, que l'on voyait marcher d'un pas décidé, un sac de voyage contre elle, répétant comme un mantra : " Je partirai, je partirai. "
Un matin, on la vit disparaître, emportant avec elle une promesse enfin accomplie, laissant dans l'air une traînée de liberté, comme un parfum léger que le vent disperse. Ainsi, le boulevard des Promesses déroulait son histoire, enchevêtrant les fils ténus des serments murmurés, d'espoirs têtus, des trahisons parfois si douces, qu'elles en devenaient presque tendres.
Et peut-être que, lorsque la nuit tombait, les pavés chuchotaient entre eux, se racontant ce que leurs vieilles pierres avaient vu, nourrissant en secret ce qui faisait battre le cœur même de la ville : la fragile, l'éternelle promesse du lendemain. Le boulevard des Promesses, pavé de ces pierres usées par le passage des générations successives de rêveurs, d'amoureux et de parjures, n'en était pas moins une artère essentielle de Qan, un de ces lieux que l'on traverse distraitement sans jamais en sonder toute l'ironie. Car il faut savoir que, contrairement à ce que son nom laissait présager aux âmes candides, il était le réceptacle non seulement des serments tenus avec une rigueur, mais aussi de ceux qui, sitôt prononcés dans l'enthousiasme d'un matin radieux ou l'émotion trouble d'un soir d'été, s'évaporaient comme une buée sur une vitre dès la première brise du quotidien.
Les maisons elles-mêmes, alignées avec cette nonchalance propre aux rues anciennes où l'urbanisme n'a jamais tout à fait réussi à domestiquer la fantaisie des bâtisseurs, semblaient refléter les mille nuances de la promesse. Ainsi, la maison de la famille Auber, reconnaissable à ses volets bleu pâle toujours clos comme les paupières d'un homme refusant de voir le jour, abritait encore le fantôme de cette promesse d'éternelle fidélité que M. Auber, dandy vieillissant, avait faite à son épouse avant de succomber aux charmes de la belle Eugénie, modiste de son état. Et l'on disait, dans les cercles bien informés, que Mme Auber elle-même n'en avait guère pris ombrage, ayant scellé dans le secret de ses appartements une promesse inverse, une sorte de contrat moral où chacun, en définitive, s'autorisait l'oubli.
Un peu plus bas, au numéro 14, la boulangerie de M. et Mme Desblés respirait une tout autre atmosphère : on y vivait sous le joug du serment respecté, de cette promesse de pain frais quotidien que M. Desblés, homme de principes et d'habitudes, avait formulée dès son apprentissage et qu'il s'obstinait à tenir avec la rigueur quasi monacale de ceux qui redoutent plus encore l'inconstance que la mort. Sa femme, plus pragmatique, laissait parfois entendre qu'une baguette légèrement rassise, le lundi matin, ne saurait constituer une trahison véritable, mais son époux secouait la tête avec une gravité sourcilleuse, comme si elle venait de proférer une hérésie.
Les soirs de printemps, le boulevard des Promesses prenait un air de douce mélancolie, car c'est à ce moment précis que, porté par le vent tiède, le souvenir des engagements d'autrefois venait frapper les esprits.
Assis sur un banc face à la fontaine des Aveux ainsi nommée parce qu'on y entendait jadis les jeunes gens y murmurer, avec une ferveur tremblante, des vœux d'amour qui parfois ne survivaient pas à l'été, l'ancien notaire Maître Ledroit ruminait l'histoire de ses clients, se demandant lesquels avaient trahi, lesquels avaient tenu bon. Il songeait notamment à ce certain Célestin Rapiat, qui avait juré de ne jamais toucher aux économies familiales et qui, pourtant, avait fini par dilapider jusqu'au dernier sou dans une entreprise de corsets censée révolutionner le confort féminin mais qui, faute d'investisseurs convaincus, s'était effondrée en même temps que ses dernières illusions.
Mais ce qui donnait au boulevard des Promesses sa singulière beauté, c'était cette cohabitation étrange entre la sincérité et la duplicité, entre l'espérance et la résignation. Car si les promesses oubliées y avaient laissé des traces, un balcon jadis promis à des géraniums mais qui restait désespérément vide, une vitrine où l'on avait juré d'ouvrir un café littéraire mais qui ne contenait qu'un bazar de bric et de broc, il y avait aussi, nichées entre ces renoncements, des fidélités sublimes, des engagements tenus contre toute attente.
Ainsi,au carrefour du boulevard des promesses avec la rue des rendez-vous, au-delà du grand marronnier dont l'ombre abritait tant de serments chuchotés, vivait Mme Roseline, vieille dame dont le regard pétillant démentait les années. Elle, disait-on, avait fait jadis une promesse insensée : celle d'attendre un amour perdu dans les aléas du monde, un amour disparu dans un ailleurs imprécis. Et chaque jour, fidèle à son serment, elle ouvrait sa fenêtre à l'aube, guettant le banc public installé sur le trottoir, dans le carrefour avec la rue des rendez-vous, sans amertume mais avec cette patience lumineuse des âmes sincères, le retour hypothétique de celui qui, un jour, lui avait promis de revenir. Ainsi, le boulevard des Promesses, loin d'être un simple passage, était-il le théâtre discret de ces drames minuscules et magnifiques qui tissent, sans que l'on y prenne garde, la trame des existences humaines.




Boulevard des promesses

Certains se perdent, boulevard des promesses,
Des serments éphémères, comme des fleurs fanées,
D'autres tiennent bon, telles des lumières célestes,
Dans la noirceur des nuits où tout semble bien figé.

Leurs cœurs tiennent leurs serments éternels,
Leur parole est un pacte, sacré, et solennel
Mais d'autres, oublient en toute lâcheté
Leur conscience obscurcit par leur vanité.

Certains se perdent délibérément, dans l'oubli.
Leurs promesses, s'envolent par tous les vents.
Ils laissent derrière eux, que des cœurs trahis,
Conscience aveuglée par leur propre tourment.

Mais dans l'ombre de ces tourments, l'espoir luit,
Comme une étoile prête à rayonner dans la nuit,
Si les promesses se brisent, si elles sont oubliées,
Il reste ceux qui y croient, prêts à les honorer.




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