Aula
Rue des bruits invisibles











Les bruits invisibles
Je crois me rappeler d'une forte explosion. Les murs avaient tremblé, une odeur de poussière, de ciment broyé, de gravas, toute cette peur ramassée, mise en boule, tout ce présent écartelé en fractions de secondes.
Ce qu'il faut à un minuscule souvenir pour remonter à la surface, étape par étape, une bulle de champagne longeant la paroi de la flûte, s'accrochant tant bien que mal au verre. J'ai pensé alors aux pompiers, grimpés sur leurs échelles, aux équilibres précaires des nacelles, aux tyroliennes traversant les forêts, aux ponts de lianes sur les rivières boueuses.
Je ne sais pourquoi mon sentiment d'insécurité n'était pas si terrifiant. Je sentais toujours mon cœur battre, tout au plus un goût de sang de m'être mordu la lèvre, le souvenir d'un dentiste et d'une extraction. À oublier.
Encore un peu, l'air s'était tendu, arqué contre des parois presque transparentes dont j'étais captive. J'aurais souhaité m'envoler, voir la scène de plus haut et plus nette, être en mesure de la dessiner en noir et en couleurs. Rien de ça n'était possible, il fallait encore engranger du temps, envisager de nouvelles hypothèses, secouer la torpeur créée par ce choc immense. Il fallait que chaque souvenir réémerge lentement, superposer les années, les lieux, les personnes.
Aucun son ne m'atteignait, aucune image précise non plus.
Je me suis mise à faire la nomenclature des sons que j'avais connus, si disparates soient-ils, à les déposer dans une boîte à chaussures virtuelle, matière à y accrocher, sans liens à décrire. Ils ont flotté un temps, le temps que je reprenne vie, que je redevienne une histoire de condition humaine, que j'ouvre enfin les yeux sur les bruits invisibles de ma vie.
Si nombreux et de tout acabit. Depuis le pétale de rose s'ouvrant au petit matin, le grain de sable déstabilisé par le bernard l'ermite, celui de l'asphalte se dilatant sur la place, au soleil de midi, celui de l'inspiration qui s'exaspère de ne rien trouver, la lettre que tu écris dans ton dernier mot croisé, l'espoir mis de travers dans les dernières colonnes des journaux.
Autant j'ai vu les silences d'hier, autant je percevrai d'autres bruits si ténus que la plus grande attention suffit à peine à les percevoir.
De ceux dont chaque moment puise les couleurs et les textures, projettent les ronds dans l'eau et deviennent parfois des histoires.
Pour une fois, j'ai vu le détour parler, bruit invisible et force sonore.
Et ma pensée a redressé ta mèche rousse qui frissonnait au vent.


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